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Je suis la fille d'une chèvre qui vole.

Voyage en Algérie sur les traces de ma famille.

Deux bergers se disputent une forme lointaine indéterminée. L'un disait que c'est une chèvre, l'autre que c'est un corbeau. Quand la chose s’envola, le deuxième s'écria :" Je te l'ai bien dit, c'est un corbeau !". Le second lui répliqua : non, c'est une chèvre. Même si elle vole. 

“C’est une chèvre, même si elle vole” est un adage populaire arabe utilisé quand une personne s’obstine ou refuse de reconnaître des choses évidentes. 

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Comme pour toutes les familles de pieds noirs, l'Algérie est une histoire complexe et empreinte d‘abandon, de sang, de déchirement, parfois de culpabilité, souvent de non-dit. Pour mon coeur de fille et de petite fille de pieds noirs, l'Algérie c'est des souvenirs rapportés de mes grands parents paternels, qui me parlaient du pays, me racontaient la verdure, l’odeur des orangers, leurs souvenirs joyeux d’enfance, et m’ont inculqué leur culture culinaire... 

 

L’Algérie, c’est l’émotion de ma grand mère qui nous racontait ce terrible attentat de 1957 à la brasserie l’Otomatik, à la sortie de la fac. Tout a sauté autour d’elle, sauf la mezzanine où elle s’était installée. Il y a eu 4 morts et 37 blessés, et deux autres explosions simultanées dans d’autres bars d’Alger. L'Algérie, c’est les larmes de mon grand père lorsqu’il osait nous raconter, en fin de repas ou autour d'un pastis en petit comité, ces fameux périples : il partait rejoindre sa femme et son fils, d’Alger à Batna, aux portes du désert, en pleine guerre civile, avec un baril de 100 litres d'essence dans le coffre de la voiture. Un seul coup de fusil aurait tout fait sauter... 

Quand on évoquait l'Algérie, le déchirement était palpable, la blessure à vif. Pendant longtemps, ce pays était un mirage dont je ne connaissais que des bribes, des repères flous dont j’imaginais les contours. Je rassemblais des petits bouts les uns après les autres, au fil des années, pour tisser l’histoire. L’école nous avait appris une histoire simpliste et binaire qui m'avait mis hors de moi, et à laquelle je ne voulais pas croire : ma famille n’était pas des colons pilleurs. Petit à petit, j'ai eu besoin de me renseigner, pour comprendre les silences, les émotions, et tout ce qu'on taisait. 

Ma famille paternelle était en Algérie depuis plusieurs générations. Des journalistes et des instituteurs, principalement. La plus ancienne date retrouvée fût la mort d’un arrière grand père, en 1846 à Douera, et le jugement d’un ancêtre anti-royaliste et révolutionnaire républicain français, emprisonné en 1852 suite à la rébellion de 1851, après le coup d’état de Napoléon Bonaparte. A la sortie du bagne, on lui aurait donné des terres en Algérie. Tout serait parti de là. 

 

Mon père est né à Alger, en 1961 et a fait ses premiers pas dans la ville d’Annaba, anciennement appelée Bône. Avec mes grands parents, il part après l’exode, en 1964. Ils font parti de ceux qui sont restés deux ans après l’indépendance. Pour des raisons professionnelles, à 57 ans, mon père prévoyait de se rendre dans son pays natal, qu’il n’avait pas retrouvé depuis. Il me propose de l’accompagner, il sait que c’est l’occasion pour moi, enfin, de réaliser ce voyage dont je parle depuis toujours. A ce moment là, ma relation avec mon père était pourtant complexe : après une année de silence et une année de thérapie, tous les deux, nous commencions tout juste à reprendre contact.

On partira 10 jours, tous les deux, aux côtés de ses collègues et amis, sur les traces de notre histoire, en Kabylie. Une chasse au trésor qui est née d’une rage de comprendre, un besoin d'apaiser mon histoire, de renouer avec mes racines, mais aussi, et surtout, avec mon père. 

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